Regard croisés entre Peggy Humbrecht de Calia Conseil, et Céline Godoy d’Elcimaï Environnement.
La tarification incitative (TI) sur les déchets est un sujet complexe et crucial pour les collectivités locales. Pour mieux comprendre les enjeux, les défis et les réussites de cette approche, Peggy Humbrecht du cabinet CALIA Conseil et Céline Godoy d’Elcimaï Environnement échangent leurs retours d’expérience et leurs recommandations, à partir de leurs missions d’accompagnement réalisées auprès de nombreux territoires ces dernières années.
Quels sont les principaux défis rencontrés lors de la mise en œuvre de la tarification incitative ?
Peggy Humbrecht :
« Depuis dix ans, nous avons réalisé de nombreuses études sur la TI pour les collectivités, mais peu d’entre elles ont finalement mis en œuvre cette tarification. Les principaux défis incluent les coûts initiaux élevés liés à l’achat de bacs, à la mise en place de contrôles d’accès, à l’enquête de dotation, et à l’acquisition d’autres équipements nécessaires. De plus, les collectivités sont parfois déçues des résultats des études préalables ; elles espèrent une réduction des coûts, or cette dernière n’est généralement constatée que dans le cadre d’une réorganisation simultanée du service. La TI permet plutôt de mieux maîtriser l’évolution des coûts du service de gestion des déchets, notamment en limitant la production de déchets résiduels et donc la TGAP à laquelle sont assujetties les collectivités.
La complexité de la mise en œuvre est également un frein majeur, nécessitant, outre une réorganisation du service de collecte le déploiement de moyens spécifiques au niveau des fonctions support de la collectivité – en particulier en REOMi – et une communication efficace auprès des usagers. Enfin, les contraintes politiques, notamment à l’approche des élections, rendent les élus réticents à introduire des changements jugés impopulaires comme la TI. »
Céline Godoy :
« Les freins législatifs et techniques sont également des obstacles importants. Par exemple, l’obligation de tarification uniforme sur tout le territoire limitait la flexibilité des collectivités. Désormais il est possible de mettre la TI sur les communes qui ont moins de 20% d’habitat collectif, mais le fait d’avoir indiqué un % entraîne un manque de flexibilité qui freine les décisions de passer en TI pour les collectivités urbaines, car cela correspond souvent à un faible pourcentage de la population de la collectivité. Les choix techniques de certains territoires, par exemple la collecte conjointe des OMr [ordures ménagères résiduelles] et biodéchets avec l’utilisation de sacs de couleur pour les biodéchets en vue d’un tri optique, rendent impossible la mise en œuvre de la TI.
De plus, les usagers peuvent mal comprendre les changements apportés par la TI, ce qui nécessite une communication claire et efficace. Enfin, les collectivités doivent souvent réorganiser leurs services de collecte, ce qui peut être perçu comme une dégradation du service par les usagers. »
Quels sont les facteurs clés de réussite pour la mise en œuvre de la tarification incitative ?
Céline Godoy :
« Il existe autant de solutions que de situations. Par exemple, le Grand Besançon est un exemple réussi de redevance incitative en milieu urbain (le seul en France), avec une vraie progressivité dans l’application de la TI et des ajustements techniques au fil du temps. Certaines collectivités comme Anjou pousse la redevance incitative plus loin encore, en facturant les usagers pour chaque type de déchets : ordures ménagères, emballages, accès à la déchèterie, et se pose la question de l’étendre à un quatrième flux, les biodéchets. »
Peggy Humbrecht :
« Quel que soit le cas, une bonne communication et un accompagnement des usagers sont cruciaux pour assurer la compréhension du dispositif et l’acceptation des changements. A cet égard, un fort soutien politique et un engagement des élus locaux sont essentiels pour la réussite de la TI. Enfin, il est nécessaire d’adapter les fréquences de collecte et les services offerts aux usagers lors de la mise en place de la TI. »
Céline Godoy :
« Des changements législatifs avec plus de flexibilité dans la mise en œuvre de la TI peuvent aussi faciliter son adoption. Les collectivités doivent être prêtes à adapter leurs infrastructures et leurs méthodes de collecte pour répondre aux exigences de la TI. Les services techniques doivent avoir le temps de se préparer techniquement, de manière qu’il n’y ait pas de disfonctionnements au moment du passage en TI. Enfin, il est crucial de bien contrôler les accès en déchèteries pour éviter une explosion des coûts liés aux apports non contrôlés. »
Quelles alternatives à la tarification incitative peuvent être envisagées pour optimiser le geste de tri et réduire la production de déchets ?
Peggy Humbrecht :
« L’optimisation du service de collecte est une alternative intéressante. Par exemple, réduire les fréquences de collecte des OMr peut encourager les usagers à trier davantage et à réduire leurs déchets résiduels, utiliser des sacs transparents de petite taille pour la collecte des OMr, qui rendent visible ce qui est jeté, ou équiper les BOM de l’IA peut également inciter les usagers à mieux trier. De plus, des campagnes de communication ciblées et des actions de sensibilisation peuvent aider à améliorer les performances de tri et à réduire la production de déchets. »
Céline Godoy :
« Le développement de la prévention reste la priorité. Encourager le réemploi, accompagner les usagers dans leurs changements de comportement au sujet des biodéchets, via le compostage individuel et collectif, les pratiques de jardinage durable, sera toujours bénéfique. Enfin, il est important d’améliorer les filières de tri et de traitement pour maximiser les bénéfices environnementaux. » Actuellement l’ADEME et CITEO apportent un soutien financier intéressant aux collectivités qui passent en TI via des soutiens aux investissements et aux dépenses de fonctionnement. »


Conclusion
En résumé, la tarification incitative présente des défis significatifs en termes de mise en œuvre et d’investissements, mais elle peut offrir des avantages en termes de maîtrise des coûts et d’amélioration des performances de tri, à condition d’avoir un fort soutien politique, une bonne préparation technique et de répondre aux idées reçues. Et ce n’est pas parce que la TI n’est pas envisageable à court terme qu’elle ne le sera pas plus tard : parfois la réflexion c’est que la marche est trop haute mais on peut voir comment tendre vers elle.
Les mesures complémentaires à la TI, telles que l’optimisation du service de collecte et le développement du réemploi et de la prévention, contribuent également à réduire la production de déchets et à améliorer les performances de tri.
Les points de vue croisés de Peggy Humbrecht et Céline Godoy confirment l’intérêt pour les territoires d’être accompagnés dans leur démarche, d’un point de vue technique et financier, ainsi que dans leur communication auprès des usagers.
Publié le
28/04/2025
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